Retraites, tout cela laissera des traces

En cette journée de grève nationale, il est intéressant d’analyser les choix de communication des protagonistes et de décrypter leurs postures. Gouvernement, partis des oppositions, syndicats, tous ne s’en sortiront pas avec la même « gloire ».

 

 

Une communication brouillonne pour défendre le fond

 

Sans aller sur le fond de la réforme lui-même, il y a de quoi s’interroger sur la stratégie gouvernementale mise en œuvre en amont pour argumenter clairement les mesures décidées, en particulier une anticipation sur des points censés être essentiels pouvant être bloquants, afin de faire passer la réforme.

 

En effet, avant même que les travaux parlementaires, qui n’en sont pas réellement puisque le Gouvernement a choisi d’invoquer l’article 47-1 limitant de fait les débats, certaines mesures avaient été annoncées comme des progrès sociaux majeurs.

 

Par excès de confiance, inconséquence et/ou manque de travail sur cette réforme, certains membres du Gouvernement se sont empêtrés dans des explications et des mensonges qui n’ont convaincu personne et se sont retournés contre eux.

L’exemple le plus frappant est évidemment celui de la retraite plancher à 1 200 euros qui ne concerne finalement qu’une poignée de personnes par an alors que cette mesure était érigée comme un emblème destiné à contrebalancer le passage de 62 à 64 ans.

Et même le ministre du travail au plus près de la réforme n’a pas su réagir correctement lorsqu’il a été appelé à s’expliquer sur l’impact de cette mesure.

 

Si les syndicats ont unanimement fait du report de l’âge légal de départ à la retraite une question de principe depuis le début, plusieurs « grands patrons » estiment également que cette réforme n’était pas nécessaire, aussi bien en termes d’opportunité que sur le fond.

 

Certes, cette mesure était bien au programme de Macron 2022 mais il y en a bien d’autres de 2017 pour lesquelles le Président de la République n’a pas été aussi volontariste…

Mais les élections présidentielles de 2022 et de 2017 ont eu ceci de particulier que ce ne sont pas les programmes qui ont été plébiscités mais que le résultat, de plus en plus serré, s’explique par une mobilisation républicaine de plus en plus difficile à obtenir.

Par conséquent, utiliser l’argument d’une validation de la mesure par les Français.e.s par l’élection présidentielle est une imposture qui va encore aggraver la fracture, le désintérêt et la colère des citoyens.

 

Les conclusions du rapport du Conseil d’Orientation des Retraites ont été un prétexte pour justifier la réforme telle qu’elle a été décidée au plus haut de l’État, sauf que le président du COR lui-même s’est désolidarisé de la démarche.

De plus, des démographes éminents contestent l’analyse et ses conclusions, ainsi que les conséquences financières.

D’autres expliquent également qu’il suffirait de s’attaquer à la question du travail des seniors pour résorber ce déficit, et ce n‘est pas un « index gadget » qui va régler le problème.

 

Alors qu’il y avait donc d’autres choix possibles, cette réforme, telle qu’elle a été décidée à l’Élysée, a tout du « caprice présidentiel » sur lequel il est maintenant difficile de se dédire, sauf à devenir impuissant pour tout le reste du quinquennat. Mais à qui la faute…

 

Que l’on soit pour ou contre, il faut bien constater que cette réforme a été très mal engagée et qu’il n’y aura presque que des perdants à l’issue. Presque…

 

 

Un éventail de postures, du rationnel au ridicule

 

A cette impréparation manifeste qui donnait déjà une impression brouillonne s’ajoute une forme, ou plutôt des formes, de communication à double tranchant.

Il y a ceux qui s’expriment, de manière plus ou moins rationnelle, ceux qui veulent se faire entendre et ceux qui ne disent rien, attendant simplement de récolter la colère.

 

Les syndicats, dont l’« utilité » a été mise à mal à la fois par la base et par les politiques qui ont court-circuité ces corps intermédiaires, retrouvent une « légitimité » à travers cette mobilisation contre une réforme très majoritairement rejetée.

La coordination entre les deux plus grosses confédérations syndicales, et avec les autres, semble pour l’heure être efficace et il n’y a pas de « ratés » de communication.

Malgré quelques tentatives de l’exécutif pour séparer les acteurs, l’unité syndicale tient jusqu’à présent, mis à part quelques écarts de langage.

Cette journée du 7 mars et les suites qui y seront données seront cependant à observer de près, afin de voir si les conséquences d’une grève trop longue et potentiellement couteuse pour tous en période de forte inflation peuvent faire basculer l’opinion. Pour l’instant, rien ne le laisse présager mais bien malin qui peut prédire l’avenir dans un contexte aussi explosif socialement.

 

Côté Gouvernement, à l’approche de cette journée de grève, certains propos ont de quoi laisser perplexes pour le moins.

Les éléments de langage utilisés risquent, au même titre que la méthode, de laisser des traces pour la suite du quinquennat et au-delà.

Prenons quelques exemples :

  • promettre les sept plaies d’Égypte et plus encore pour faire peur à outrance a été si ridicule que l’auteur est revenu sur ses propos,
  • affirmer que cette réforme est de gauche alors que la droite elle-même explique que cette réforme était dans leur programme présidentiel de 2022, il faut l’oser,
  • opposer « la France qui trime » aux grévistes, insinuant que ceux-ci seraient des fainéants alors que certains d’entre eux subissent une pénibilité au travail qui n’est pas prise en compte est d’une facilité irrecevable,
  • parler de réforme « raisonnable et nécessaire », c’est sous-entendre que celles et ceux qui s’y opposent ne sont pas raisonnables, alors que le choix du report de l’âge de la retraite n’est pas la seule option possible.

 

Et la liste peut être allongée sans trop de difficultés, attisant une colère sourde qui s’exprimera tôt ou tard.

Même certains alliés de longue date (comme le MoDem) se font discrets, de peur d’être emportés par cette colère.

 

Côté « alliés de circonstance », les péripéties internes des Républicains rendent difficile la perception d’une ligne claire du discours. De fait, ils se sont un peu effacés pour « digérer leurs contradictions », ce qui n’empêche qu’ils contribuent à amender un projet qui correspond à leurs orientations.

Mais que dire des discussions en cours au Sénat qui ont supprimé tous les régimes spéciaux… sauf celui des sénateurs…

Cette décision laissera, elle aussi, des traces et alimentera un antiparlementarisme déjà bien développé.

 

Côté NUPES, il y a deux écoles : comme toujours, ceux que l’on entend beaucoup (pour parler à leur propre électorat aussi bien que pour essayer d’en capter d’autres), la LFI, et ceux qui sont plus discrets, en partie à cause de leurs propres dissensions internes.

 

Pour la LFI, il semble que nous touchions le fond avec un député de son époque qui confond « buzz médiatique » et revendications politiques, utilisant les réseaux sociaux comme outils de mobilisation avec à la clef une récompense, la visite de l’Assemblée Nationale…

 

Les autres partis de la NUPES sont totalement inaudibles dans ce chahut organisé, qui écorne encore un peu plus l’image de nos responsables politiques.

 

Quant au Rassemblement National, il n’a pas grand-chose à faire pour « paraître digne et responsable », il n’a qu’à se taire. Et c’est bien ce qu’il fait, attendant son heure. Au point que certains responsables de Renaissance, pour contribuer encore plus à cette ambiance de cirque décadent, décerne « un bon point d’attitude républicaine » aux députés RN.

 

Comme dirait Coluche, « jusqu’où s’arrêteront-ils… »

 

 

Conclusion

Si chaque acteur de ce théâtre a pris une posture cohérente avec ses choix politiques, il n’en reste pas moins qu’à force de se moquer des Français, la colère déjà très prégnante ne se transforme en désaffection, laissant la porte ouverte à la facilité du pire.

Pauvre France…

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